religiosite n. religiosity, state of being religious, piousness, devoutness
36 La lune
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Il était autrefois un pays où les nuits étaient sombres, et le ciel couvrait cette contrée comme un drap noir. La lune n'y sortait jamais, pas une seule étoile ne scintillait dans l'obscurité. L...
Il était autrefois un pays où les nuits étaient sombres, et le ciel couvrait cette contrée comme un drap noir. La lune n'y sortait jamais, pas une seule étoile ne scintillait dans l'obscurité. Les ténèbres y régnaient comme à la création du monde. Quatre jeunes hommes de ce pays partirent un jour en voyage et arrivèrent dans un autre royaume où tous les soirs, lorsque le soleil se couchait derrière la montagne, s'allumait dans les cimes d'un chêne un disque étincelant qui répandait au loin une douce lumière. Cela permettait aux gens de tout bien voir et distinguer, même si la lumière n'était pas aussi forte et éclatante que celle du soleil. Les voyageurs s'arrêtèrent et, abasourdis, demandèrent au paysan qui passait par là avec son chariot quelle était cette lumière. - C'est la lune, répondit le paysan. Notre maire l'a achetée pour trois écus et l'a attachée au sommet du chêne. Tous les jours il doit y rajouter de l'huile et bien la nettoyer pour qu'elle brille comme il faut. Nous lui payons ce service un écu chacun. Le paysan partit en cahotant, et l'un des jeunes hommes siffla : - Une telle lampe nous serait bien utile chez nous ! Nous avons un chêne aussi grand que celui-ci, nous pourrions l'y accrocher. Quel plaisir de ne plus marcher en tâtonnant ! - Savez vous ce que nous allons faire ? lança le deuxième. Nous irons chercher un cheval et une charrette et nous emporterons la lune avec nous. Ils n'auront qu'à s'en acheter une autre. - Je sais bien grimper, dit le troisième, je la décrocherai. Le quatrième trouva un cheval et une charrette et le troisième grimpa sur l'arbre. Il fit un trou dans le disque lumineux, passa une corde à travers le trou et fit descendre la lune. Dès que la lune étincelante fut dans la charrette, ils lui passèrent une couverture pour que personne ne s'aperçoive du vol. Ils transportèrent la lune sans encombre jusque dans leur pays et l'accrochèrent sur le haut chêne. Et tout le monde se réjouit, les jeunes et les vieux, de cette nouvelle lampe dont la lumière pâle se répandait dans les champs et dans les prés, et jusque dans les cuisines et les chambrettes. Des grottes dans la montagne sortirent des lutins et des petits génies en petits manteaux rouges et ils se mirent à danser la ronde dans les prés. Notre quatuor de voyageurs prit la lune en charge. Ils ajoutaient de l'huile, nettoyaient la mèche et percevaient pour leur travail un écu par semaine. Mais le temps passa et ils devinrent vieux et grisonnants, et lorsque l'un d'eux tomba malade et sentit que ses jours étaient comptés, il exigea qu'on mit dans son cercueil un quart de la lune en tant que sa propriété. Après sa mort, le maire grimpa sur l'arbre, découpa un quart de la lune avec des ciseaux de jardinier et on le mit dans le cercueil du défunt. La lune perdit un peu de son éclat, mais pour le moment cela ne se voyait pas trop. Quelque temps après, le deuxième décéda on l'enterra avec le deuxième quart de la lune, et la lumière baissa un peu plus. Et elle faiblit encore lorsque le troisième mourut et emporta, lui aussi, son quart de lune avec lui. Et dès qu'ils enterrèrent le quatrième, l'obscurité totale d'autrefois envahit à nouveau tout le pays. Et chaque fois que les gens sortaient de chez eux sans leur lanterne, ils se cognaient les uns aux autres. Or, les quatre quarts de la lune se rejoignirent sous la terre, là, où depuis toujours l'obscurité régnait. Les morts, très étonnés d'y voir de nouveau, se réveillaient. La lumière de la lune était suffisante car leurs yeux avaient perdu l'habitude et n'auraient pu supporter l'éclat du soleil. Ils se levèrent, les uns après les autres, et tous se mirent à faire la fête de nouveau, comme ils en avaient l'habitude autrefois. Les uns jouèrent aux cartes, d'autres allèrent danser et d'autres encore partirent à l'auberge, commandèrent du vin, se saoulèrent, se donnèrent du bon temps, puis se disputèrent et finirent par attraper des bâtons. Et ce fut la bagarre. Et quelle bagarre et quel tapage ! Le vacarme était tel qu'il parvint jusqu'au ciel. Saint Pierre, qui surveille la porte d'entrée du paradis, pensa qu'une révolte avait éclaté aux enfers. Il appela l'armée céleste pour repousser l'odieux ennemi et ses complices pour le cas où ils voudraient attaquer la demeure des défunts. Personne ne s'étant présenté, saint Pierre lui-même monta à cheval et, passant par la porte céleste, descendit tout droit aux enfers. Il ramena le calme parmi les défunts décharnés, leur fit regagner leurs tombes, il emporta la lune avec lui et l'accrocha dans le ciel.