pyruvate 52 Le fuseau, la navette et l'aiguille
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Il était une jeune fille qui avait perdu ses parents dans son bas âge. Elle avait une marraine, qui habitait toute seule une petite chaumière au bout du village, et qui vivait des produits de son a...
Il était une jeune fille qui avait perdu ses parents dans son bas âge. Elle avait une marraine, qui habitait toute seule une petite chaumière au bout du village, et qui vivait des produits de son aiguille, de sa navette et de son fuseau. Cette bonne vieille prit avec elle l'orpheline, lui apprit à travailler et l'éleva dans la piété et la crainte de Dieu. Quand la jeune fille eut atteint quinze ans, sa marraine tomba malade, et, l'appelant près de son lit, elle lui dit : « Chère enfant, je sens que ma fin est proche; je te laisse ma chaumière : elle te protégera contre le vent et la pluie; je te donne aussi mon fuseau, ma navette et mon aiguille, qui te serviront à gagner ton pain. » Puis, lui posant la main sur la tête, elle la bénit en disant : « Conserve Dieu dans ton cœur, et le bonheur t'arrivera. » Là-dessus ses yeux se fermèrent; la pauvre fille accompagna son cercueil en pleurant et lui rendit les derniers devoirs. Désormais elle vécut toute seule, travaillant avec courage à filer, à tisser et à coudre; et la bénédiction de la bonne vieille la protégeait en toutes choses. On aurait dit que sa provision de lin était inépuisable, et, à mesure qu'elle avait lissé une pièce de toile ou cousu une chemise, il se présentait aussitôt un acheteur qui la payait généreusement ; de telle sorte que non-seulement elle n'était pas dans le besoin, mais elle pouvait encore donner aux pauvres. Vers le même temps, le fils du roi se mit à parcourir le pays pour chercher femme. Il n'en pouvait pas choisir une pauvre et n'en voulait pas une riche. Aussi disait-il qu'il prendrait celle qui serait à la fois la plus riche et la plus pauvre. En arrivant dans le village où demeurait notre jeune fille, il demanda, comme à son ordinaire, qu'on lui indiquât la plus pauvre et la plus riche du l'endroit. On lui désigna tout de suite la seconde; quant â la première, lui dit-on, ce devait être la jeune fille qui demeurait dans une chaumière isolée tout au bout du hameau. Quand le prince passa, la riche était en grande toilette devant sa porte : elle se leva et alla à sa rencontre avec un grand salut. Mais il la regarda et continuant son chemin sans dire un mot, arriva à la chaumière de la pauvre fille : celle-ci n'était pas sur sa porte, mais enfermée dans sa chambre. Il arrêta son cheval et regarda à travers la fenêtre dans l'appartement, qu'éclairait un rayon g de soleil : elle était assise devant son rouet et filait avec ardeur. De son côté, elle aperçut furtivement le prince qui la regardait; mais elle en devint toute rouge et continua de filer en baissant les yeux : seulement je ne garantirais pas que son fil fût bien égal. Elle fila toujours jusqu'à ce que le prince fût parti. Dès qu'elle ne le vit plus, elle courut ouvrir la fenêtre en disant : « Il fait si chaud ici ! » et elle le suivit des yeux tant qu'elle put apercevoir la plume blanche de son chapeau. A la fin elle se rassit et se remit à filer. Mais il lui revint à la mémoire un refrain qu'elle avait souvent entendu répéter à sa vieille marraine, et elle chanta ainsi :
Cours, fuseau; que rien ne t'arrête; Conduis ici mon bien-aimé.
Qu'arriva-t-il ? le fuseau s'élança tout à coup de ses mains et se précipita dehors ; elle le suivit des yeux toute stupéfaite ; il courait en dansant à travers champs et laissait après lui un fil d'or. En peu de temps il fut trop loin pour qu'elle pût le voir. N'ayant plus de fuseau, elle prit sa navette et se mit à tisser. Le fuseau continuait de courir, et, quand son fil fut au bout, il avait rejoint le prince. « Que vois-je? s'écria celui-ci; ce fuseau veut me conduire quelque part. » Il retourna son cheval et suivit au galop le fit d'or. La jeune fille continuait de travailler en chantant :
Cours après lui, chère navette; Ramène-moi mon fiancé.
Aussitôt la navette s'échappa de ses mains et s'élança vers la porte. Mais à partir du seuil elle commença à tisser un tapis plus beau que tout ce qu'on a jamais vu. Des deux côtés fleurissaient des guirlandes de roses et de lis, et au milieu, des pampres verts sortaient d'un fond d'or; des lièvres et des lapins sautaient dans le feuillage, des cerfs et des chevreuils passaient leur tête à travers; dans les branches étaient perchés des oiseaux de mille couleurs auxquels il ne manquait que de chanter. La navette continuait de courir et l'œuvre avançait merveilleusement. N'ayant plus sa navette, la jeune fille prit son aiguille et se mit à chanter :
Il va venir, chère aiguillette; Que tout ici soit préparé.
Aussitôt l'aiguille, s'échappant de ses doigts, se mit à courir par la chambre, rapide comme l'éclair. C'était comme si des esprits invisibles s'en fussent mêlés : la table et les bancs se couvraient de tapis verts, les chaises s'habillaient de velours, et les murs d'une tenture de soie. A peine l'aiguille avait-elle piqué son dernier point, que la jeune fille vit passer devant la fenêtre les plumes blanches du chapeau du prince, que le fil d'or avait ramené : il entra dans la chaumière en passant sur le tapis, et dans la chambre il vit la jeune fille, toujours vêtue de ses pauvres habits, mais brillant cependant au milieu de ce luxe improvisé comme une rose églantine sur un buisson. « Tu es bien la plus pauvre et la plus riche, s'écria-t-il ; viens, tu seras ma femme. » Elle lui tendit la main sans rien répondre. Il lui donna un baiser, et, l'ayant fait monter à cheval avec lui, il l'emmena à la cour, où la noce fut célébrée avec une grande joie. Le fuseau, la navette et l'aiguille furent conservés précieusement dans le trésor royal.