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89 Les trois frères
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Un homme avait trois fils et ne possédait d'autre bien que la maison dans laquelle il demeurait. Chacun de ses fils désirait en hériter, et il ne savait comment s'y prendre pour ne faire de tort à...
Un homme avait trois fils et ne possédait d'autre bien que la maison dans laquelle il demeurait. Chacun de ses fils désirait en hériter, et il ne savait comment s'y prendre pour ne faire de tort à aucun d'eux. Le mieux eût été de la vendre et d'en partager le prix entre eux ; mais il ne pouvait s'y résoudre, parce que c'était la maison de ses ancêtres. Enfin il dit à ses fils : « Allez dans le monde; faites-y vos preuves; apprenez chacun un métier, et, quand vous reviendrez, celui qui montrera le mieux son savoir-faire héritera de la maison. » La proposition leur plut; l'aîné résolut d'être maréchal-ferrant, le second barbier et le troisième maître d'armes. Ils se séparèrent après être convenus de se retrouver chez leur père à jour fixe. Chacun d'eux se mit chez un bon maître qui lui apprit son métier à fond. Le maréchal eut à ferrer les chevaux du roi; il croyait bien que la maison serait pour lui. Le barbier rasa de grands seigneurs, et il pensait bien aussi tenir la maison. Quant à l'apprenti maître d'armes, il reçut plus d'un coup de fleuret : mats il serrait les dents et ne, se laissait pas décourager : « Car, pensait-il, si j'ai peur, la maison ne sera pas pour moi. » Quand le temps fixé fut arrivé, ils revinrent tous les trois chez leur père. Mais ils ne savaient comment faire naître l'occasion de montrer leurs talents. Comme ils causaient entre eux de leur embarras, il vint à passer un lièvre courant dans la plaine. « Parbleu, dit le barbier, celui-ci vient comme marée en carême. » Saisissant son plat à barbe et son savon, il prépara de la mousse jusqu'à ce que l'animal fut tout près, et, courant après lui, il le savonna à la course et lui rasa la moustache sans l'arrêter, sans le couper le moins du monde ni lui déranger un poil sur le reste du corps. « Voilà qui est bien, dit le père; si tes frères ne font pas mieux, la maison t'appartiendra. » Un instant après passa une voiture de poste lancée à fond de train. « Mon père, dit le maréchal, vous allez voir ce que je sais faire. » Et, courant après la voiture, il enleva à un des chevaux en plein galop les quatre fers de ses pieds et lui en remit quatre autres. « Tu es un vrai gaillard, dit le père, et tu vaux ton frère ; je ne sais en vérité comment décider entre vous deux. Mais le troisième dit : « Mon père, accordez-moi aussi mon tour. » Et, comme il commençait à pleuvoir, il tira son épée et l'agita en tous sens sur sa tête, de manière à ne pas recevoir une seule goutte d'eau. La pluie augmenta et tomba enfin comme si on l'eût versée à seaux ; il para toute l'eau avec son épée, et resta jusqu'à la fin aussi peu mouillé que s'il eût été à couvert dans sa chambre. Le père, voyant cela, ne put cacher son étonnement : « Tu l'emportes, dit-il, la maison est à toi. » Les deux autres, pleins d'une égale admiration, approuvèrent le jugement du père. Et, comme ils s'aimaient beaucoup entre eux, ils restèrent tous trois ensemble dans la maison à exercer leur état et ils y gagnèrent beaucoup d'argent, et vécurent heureux jusqu'à un âge avancé. L'un d'eux étant mort alors, les deux autres en prirent un tel chagrin qu'ils tombèrent malades et moururent aussi. Et, à cause de leur habileté commune et de leur affection réciproque, on les enterra tous trois dans le même tombeau.